Vous connaissez Tina Modotti ? Italienne nomade, elle fut ouvrière textile, modèle, actrice, avant de devenir journaliste et militante. Pionnière du photojournalisme, elle photographia les prolétaires, les femmes, les luttes et les détails avec une sensibilité engagée (ou un engagement sensible) qui fit sa signature.

Tina Modotti débarque à Ellis Island le 8 juillet 1913. Seule. Elle a 17 ans. Elle vient d’Udine, dans le Frioul italien où vit sa famille, d’origine modeste. Elle fuit l’usine textile où, depuis l’âge de 12 ans, elle travaille 12 heures par jour.
Elle trouve rapidement un emploi de couturière dans un magasin de mode. Puis, elle devient mannequin, modèle pour des photographes pour qui elle pose nue, et comédienne. Au Palace of Fine Arts, elle rencontre le peintre norvégien Edvard Munch et le poète Roubaix de l’Abrie Richey, dit Robo, avec qui elle découvre la bohème artistique. Elle l’épouse à l’automne 1918 et iels filent à Hollywood. Tina, remarquée par des producteurs, joue dans plusieurs films dont Tiger’s coat. Le couple vit très confortablement et évolue au sein d’un cercle d’avant-garde, artistes bohèmes, dont le photographe Edward Weston.
Malgré le maccarthysme et la « chasse aux sorcières » qui gagne du terrain aux Etats-Unis, Tina s’engage en faveur de ses compatriotes immigrés anarchistes, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti. Elle est fascinée par la révolution mexicaine qui vient de programmer la restitution des terres spoliées par l’Eglise et les gros propriétaires. Elle a une furieuse envie d’aller voir ce pays où l’art est décrété l’un des piliers de la refondation.
Au printemps 1921, Edward Weston lui propose de poser pour lui, nue. Elle entame une relation enflammée avec lui. Elle est mariée, lui aussi. Il a 10 ans de plus qu’elle et 4 enfants. Il lui enseigne son art, la photographie. Moins d’un an plus tard, Robo meurt au Mexique où il est parti seul. Tina arrête le cinéma et passe de l’autre côté de l’objectif.
Avec Edward, elle part au Mexique en 1923 et le couple ouvre un studio photo. Elle s’émancipe vite du formalisme de son ami auquel elle préfère ce qu’elle appelle "la photo incarnée" : il lui faut de la chair, de l’humain, de l’émotion. Elle passe d’images très formelles à la photo Des roses qui, plein cadre, sans structure ni centre défini, ont quelque chose de tactile, de vulnérable. Tina Modotti a trouvé sa signature.
Tina veut photographier "l’autre moitié", les pauvres, les prolétaires, les mères, les femmes. Elle photographie les mains et les corps des prolétaires surexploités, les femmes avec enfants qui travaillent dur… Elle se sert de l’image comme outil de dénonciation et de révolte, anticipant le travail social de Dorothea Lange (photographe de la Grande Dépression aux Etats-Unis à la fin des années 1920).
Elle affirme son engagement politique, n’en déplaise à Edward. Avec des ami·es communistes, elle crée le journal El Machete qu’iles collent sur les murs, comme des affiches. Elle est très amie avec le poète Vladimir Maïakovski, l'écrivain John Dos Passos, le peintre Diego Rivera - à qui elle présente Frida Kahlo – et l’anthropologue Anita Brenner qui lui passe commande pour illustrer son livre Des idoles derrière les autels, sur la culture populaire mexicaine. Tina devient la photographe officielle des peintres muralistes dont elle fait le portrait en plein travail. En 1926, elle troque l’appareil Corona de ses début pour un Graflex qui lui permet de faire des photos de rue. A elle les manifestations !
Après sa séparation avec Edward, elle vit avec Julio Antonio Mella, fondateur du Parti Communiste cubain en exil au Mexique. Un soir, il est assassiné dans la rue, alors qu’iels rentrent du cinéma. Le pouvoir cherche à faire passer ce crime politique pour un crime passionnel. Bien que blanchie lors d’un procès à charge, Tina est harcelée par la police et la presse. Sa vie privée est exposée.
Bientôt, on attribue aux communistes la responsabilité d’un attentat contre le président mexicain. Tina est arrêtée et expulsée. Sur les routes de l'exil, elle retrouve l'agent secret Vittorio Vidali en route pour Moscou où il travaille pour le Komintern. A Rotterdam, elle échappe à une arrestation par la police mussolinienne grâce aux avocats du Secours rouge. Elle rejoint Vittorio Vidali à Moscou et abandonne la photographie pour se consacrer à la lutte contre le fascisme et travailler pour le Secours rouge international. De passage à Paris pour réorganiser la section française, elle est hébergée par Henri Rol-Tanguy, futur chef d’état-major des FFI.
En 1933, elle part pour l’Espagne. Vittorio est devenu le Comandante Pablo Contreras. Elle devient Maria. Proche de Dolores Ibárruri, présidente du Parti Communiste espagnol, elle travaille à l’organisation de l’aide internationale à la République et écrit pour Ayuda, le journal du Secours rouge espagnol. Elle rencontre Robert Capa et Gerda Taro lors d’une mobilisation pour la paix.
Pendant la guerre, elle est milicienne dans le bataillon féminin du 5e Régiment et infirmière à l’hôpital ouvrier du Cuatro Caminos. Elle évacue les enfants vers le Mexique et l’URSS, aide les familles des prisonnier·es politiques (par exemple en Asturies fin 1934, après l’arrestation de 30 000 mineurs), accompagne le départ des Brigades internationales et la Retirada…
Après la défaite de l’armée républicaine face aux franquistes aidés par Mussolini et Hitler, elle fuit avec Vittorio, à Paris d’abord, puis à New York où, interdite de débarquement, elle est embarquée sur un bateau : retour au Mexique. Elle y vit en clandestine jusqu’à ce que le nouveau président annule son ordre d’expulsion. Vittorio est arrêté, accusé d’avoir trempé dans le meurtre de Trotski à Mexico en août 1940. Elle fête le passage à 1941 chez Pablo Neruda. Le 6 janvier, elle meurt d’une crise dans un taxi. Elle a 45 ans.
La vie mouvementée et nomade de Tina Modotti a disséminé son œuvre, produite dans la seule décennie 1920-1930. On a retrouvé deux malles de ses clichés en Oregon, chez Rose Richey, la mère de Robo, ainsi que quelques négatifs chez son ancien amant Edward Weston, son ami Manuel Alvarez Bravo, la fille de Vittorio Vidali et les héritier·es d’Anita Brenner. 240 photographies de l'artiste - dont certaines inédites - sont exposées au Jeu de Paume lors de l'exposition "Tina Modotti, l’œil de la révolution" en 2024, la plus grande exposition qui lui fut consacrée.
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